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L'idée de faire faire de la gymnastique aux bébés n'est pas
neuve. Au début du vingtième siècle et au cours des décennies suivantes on a
gardé les bébés pendant des mois dans des langes serrés et des lits étroits ;
plus tard on les a beaucoup porté dans les bras, on les a mis dans des chaises
hautes pour qu'ils voient le monde. Alors, les auteurs de livres, voulant
contribuer à "développer" les bébés, ont conseillé aux mères de faire faire
quelques minutes d'exercices physiques aux nourrissons lorsqu'elles enlèvent les
langes au moment du bain. Parmi les exercices proposés figuraient : plier,
allonger, soulever, balancer les bras et les jambes ; pédaler ; battre des mains
avec des bras tendus devant le torse et au-dessus de la tête ; pour renforcer
les muscles du ventre, tirer le bébé vers la position assise par les mains ;
pour renforcer les pieds, le mettre debout ; pour lui apprendre à marcher,
l'appeler ou le guider de la main.
Parmi ceux qui donnaient de tels conseils, les différences
concernaient la fréquence des exercices, leur durée, faut-il les faire le matin
ou le soir, combien d'exercices sont à faire, dans quel ordre et avec quelle
précision, jusqu'à quel degré de difficulté doit-on arriver pendant les
différentes étapes du développement du bébé, etc. Mais quasiment tous étaient
d'accord sur le fait que l'initiative vient de l'adulte : c'est lui qui fait
faire au bébé passif - ou rendu actif par lui- certains gestes ou mouvements ;
dans un cas un peu meilleur, l'adulte essaie de lui donner envie d'exécuter
certains mouvements.
Vers le milieu du siècles, de tels conseils sont devenus plus
rares ; mais depuis les dernières décennies, il semble que nous assistons à leur
renaissance. Des articles, des livres concernant la gymnastique du bébé
paraissent l'un après l'autre ; bien que se référant à l'activité et à la
collaboration de l'enfant, ils reprennent en fait les anciens conseils. Si dans
la mode féminine par exemple, le retour temporaire des modes des années 20 ou 30
ne représente aucun "danger" mais un esprit de diversité romantique, dans les
domaines qui concernent les soins aux bébés, il est particulièrement nuisible de
ranimer certaines habitudes depuis longtemps dépassées, même si cette
réapparition est habillée d'une phraséologie moderne et apparemment actuelle,
même si elle se fait par l'intermédiaire de beaux livres richement illustrés...
Il serait erroné de progresser à reculons !... Cela fait déjà
soixante ans qu'est paru en Hongrie un livre dans lequel une jeune pédiatre a
engagé la lutte contre la gymnastique des bébés alors en usage dans toute
l'europe. C'est un développement des mouvements basé sur l'initiative du
nourrisson lui-même qu'elle considérait comme important. Le Dr Emmi Pikler -dont
le livre s'intitule : "Que sait faire votre bébé ?" est devenu depuis un expert
mondialement connu et reconnu de la motricité du nourrisson et du jeune enfant.
Que signifie : "Le développement moteur des bébés basé sur
leur propre initiative "? Tous les muscles d'un nouveau-né sain sont prêts à
fonctionner, et pourtant ses mouvements sont incohérents, désordonnés ; il agite
les bras et ses jambes, son tronc bouge à gauche, à droite. Ses gestes sont
raides, il ne peut pas encore les guider. Pour devenir un enfant dont les
mouvements sont mûrs et harmonieux, il lui faut parcourir un long chemin dans
son développement physique et mental.
Bien qu'il y ait de grandes différences dans le rythme
individuel du développement des mouvements chez les nourrissons, tous les bébés
en bonne santé et dont on prend soin avec beaucoup d'attention, se ressemblent
sur un point : s'ils en ont la possibilité (place, vêtement adapté) pendant leur
temps d'éveil ils bougent beaucoup, ils sont très "occupés" ; ils s'exercent et
deviennent de plus en plus habiles. Si on observe un enfant dans son lieu de
jeu, ne serait-ce qu'une demi-heure, on est admiratif devant sa persévérance,
devant l'intense travail musculaire de grande variété qu'il fait lors d'un essai
ou lors des exercices d'un nouveau mouvement : ce sont les caractéristiques
d'une activité qui ne peut jamais être obtenue par une stimulation externe ! Et
ce qui frappe encore l'observateur chez tout bébé en bonne santé : ses propres
mouvements, son développement moteur, chaque détail de ses progrès sont pour lui
la source d'une joie constante.
Lorsqu'il apprend ainsi, de lui-même, à se tourner sur le
côté, sur le ventre et du ventre sur le dos, à rouler, ramper, se mettre assis
et debout, à marcher, se déplacer sur une pente, sur un escalier, à sauter - il
ne le fait pas avec des à-coups forcés, avec des muscles crispés inutilement,
mais avec joie, tout heureux, même si on peut le voir aussi à certains moments
contrarié, impatient à cause d'un échec momentané. On observe cette même joie au
cours des mouvements et postures intermédiaires caractéristiques justement à cet
âge. On peut voir quasi continuellement, sa joie de l'expérimentation quand il
essaie un nouveau mouvement. De la sérénité, du calme, une concentration
sérieuse se dégagent du nourrisson actif et tâtonnant. De plus ces essais de
mouvements nouveaux, l'exercice des anciens rendent sa musculature plus agile et
plus forte, ses mouvements plus coordonnés et plus harmonieux.
Les exercices fortifient les différentes parties de son corps.
Se retourner sur le ventre et se tourner à nouveau sur le dos renforcent surtout
les muscles du bassin ; le bébé qui joue sur le ventre ou se déplace en rampant
renforce la musculature de son dos ; celui qui s'exerce à se mettre debout
développe surtout les muscles des cuisses, du ventre et des reins. C'est pendant
l'apprentissage de la marche que les jambes se redressent et que se forme la
voûte plantaire.
Les choses ne se passent ainsi que si le bébé arrive à ces
différentes formes de mouvement par lui-même, de sa propre initiative. Le bébé
qui ne sait pas encore se mettre assis mais que l'on assoit, ne sera pas assis
avec un dos bien droit mais avec un dos voûté ou raide : sa colonne vertébrale
et les muscles de son dos ne peuvent pas encore supporter cette charge, ils ne
se renforcent pas mais se raidissent. Si on met le bébé debout avant qu'il n'y
arrive par lui-même ou si on le fait marcher alors qu'il n'est pas encore arrivé
à ce stade dans son développement, il se tiendra debout, il marchera avec
maladresse et gaucherie, son équilibre sera précaire et il assimilera des
réflexes erronés.
Le bébé s'approprie la majorité des nouvelles postures à
travers une série de postures intermédiaires ; pendant l'apprentissage et tous
ces exercices, ses mouvements deviennent de plus en plus parfaits. L'enfant qui
n'est pas restreint dans ses mouvements, peut toujours, lors de la préparation
d'une nouvelle posture, revenir vers sa position de départ déjà bien assimilée.
Les tout premiers essais réussis de se tourner sur le ventre
ou de se mettre debout peuvent parfois être une exception: revenir en arrière,
c'est-à-dire, se remettre sur le dos ou se remettre au niveau du sol, ne sera
peut-être pas alors réussi tout de suite. Naturellement, dans un tel cas il faut
aider l'enfant qui le demande. Mais lorsque, par exemple, de la position
ventrale, en se tournant sur le côté et en s'appuyant sur sa paume, il se met en
position demi assise, et qu'il commence à sentir la fatigue dans cette position,
il peut facilement et sans aide extérieure se remettre dans la position couchée.
De même, il ne doit pas rester dans une position assise, tout courbé, penché en
avant comme ces enfants entourés de supports que l'on a mis assis avant qu'ils
aient appris à s'asseoir par eux-mêmes : il peut "s'aider" tout seul. Et il ne
sera pas obligé de corriger ultérieurement une position mal apprise et devenue
habituelle, car il se sera longuement exercé dans ces postures, jusqu'à ce
qu'elles soient bien assimilées.
Ce n'est que progressivement qu'il passera de plus en plus de
temps dans des postures nouvelles. Après les premiers essais réussis de se
tourner sur le ventre il joue encore souvent sur le dos ou sur le côté ; et il
joue rarement assis quand il commence à savoir se mettre dans cette position. De
même, les moyens de déplacement fraîchement acquis ne remplacent que
progressivement les anciens. L'enfant qui commence à se déplacer à quatre pattes
rampe encore à plat ventre le plus souvent pour se déplacer ; de même, celui qui
commence à marcher se déplace le plus souvent à quatre pattes, surtout s'il veut
arriver rapidement à destination.
Il n'est pas souhaitable de raccourcir ces périodes
intermédiaires. N'encouragez pas un enfant, même par l'expression excessive de
votre joie à abandonner des postures ou des mouvements que vous considérez comme
dépassés, et à exercer de nouveaux mouvements plus qu'il n'en a la force ou
l'envie. Car ce faisant vous le fatigueriez, vous diminueriez sa mobilité
naturelle et perturberiez le rythme de son apprentissage ; vous l'inciteriez
peut-être à prendre des postures ou à faire des mouvements défectueux, raides.
Même lorsque vous voyez qu'il sait déjà marcher, laissez-le ramper, se déplacer
à quatre pattes, jouer éventuellement sur le dos ou sur le ventre tant qu'il en
a envie et qu'il en ressent le besoin. Quant à vous, poser-le toujours dans une
position dans laquelle il se sent déjà en parfaite sécurité.
Ne pas proposer à un enfant des mouvements qu'ils n'a pas
encore initiés par lui-même, le laisser maître du choix de ceux qu'il veut
essayer, ne signifie pas qu'on l'abandonne pendant ses expériences motrices. Il
faut qu'il soit dès le début sûr que vous l'aiderez s'il se retrouve dans une
situation difficile. Mais cette aide ne doit pas consister à achever un
mouvement commencé ou à lui faire réussir une tentative restée sans succès :
remettez-le plutôt dans sa position initiale, celle où il est sûr de lui.
Dire qu'il ne faut pas l'inciter par l'expression de notre
joie à ce qu'il exerce plus souvent ou plus longtemps une posture ou un
mouvement qu'il vient tout juste de réussir, ne signifie pas non plus que nous
ne devons pas nous réjouir avec lui de ses nouveaux succès. Son envie de bouger
augmente et ses liens avec ses parents se renforcent si ses essais, la richesse
de ses mouvements, son agilité, sa persévérance sont reconnus et appréciés avec
joie.
Même le bébé dont les progrès moteurs sont plus lents que ceux
de la plupart des autres, ne doit être influencé ni par un apprentissage, par un
"enseignement" direct, ni par des stimulations indirectes, ni même par de la
gymnastique pour accélérer son développement ! L'enfant progressant plus
lentement à cause de sa constitution, de ses dispositions innées a besoin de
plus de temps pour franchir les différents stades de son développement moteur.
Le raccourcissement de ces périodes est souvent bien plus dommageable pour ces
enfants "lents" que pour les bébés plus mobiles, se développant plus vite. Si,
par inquiétude qu'il soit en retard par rapport à ses congénères, on le met dans
des postures ou si on l'incite à des mouvements qu'il n'est pas encore capable
de prendre, de changer ou d'exécuter par lui-même, on en le rend pas plus agile
mais plutôt moins autonome et plus passif et dépendant. Alors, au lieu de
prendre des initiatives et de faire des essais par lui même il attendra l'aide
de l'adulte. Si on le met dans des postures qui lui sont inaccessibles par ses
propres moyens, on le prive du facteur le plus important du développement
moteur, c'est-à-dire du mouvement lui-même, de la possibilité d'en expérimenter,
d'en exercer les multiples variétés.
Seul l'enfant malade, avec handicap moteur, a besoin de
gymnastique. Celle-ci, cependant, est une gymnastique thérapeutique, un
traitement médical dont la prescription est un acte médical et l'exécution
demande l'intervention d'un spécialiste, d'un kinésithérapeute ou d'un
professeur spécialisé d'éducation physique.
Il serait pourtant faux de croire que les adultes, les parents
n'ont rien à faire pour favoriser le développement moteur autonome du bébé :
vous devez organiser toutes les journées du bébé, toute sa vie, de manière à ce
que cela serve son développement sain et harmonieux. Il faut se préoccuper avec
une attention toute particulière des possibilités qui lui sont offertes de se
mouvoir librement.
Cette lettre est extraite d’un des livres de
la Collection « Parent-thèses »
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